Énoncé d’intentionnalité – Cartes heuristiques

Ce texte à été réalisé durant le mois de novembre 2022 dans un séminaire de méthodologie de recherche-création. L’énoncé d’intentionnalité résume le processus réflectif et créatif d’une succession de cartes heuristiques sur mes intentions de recherche-création.

Je suis face à la carte blanche ou grise en l’occurrence, face à mes idées. Celles-ci devraient apparaitre dans quelques instants. D’ici là, je savoure le moment ou les concepts vont déferler sur ma toile numérique, sur ma carte grise heuristique. J’ai carte blanche pour ma matière grise. Sans plan en tête pour exprimer mon intentionnalité, je laisse aller mes idées.
Dans une première approche de remue-méninge total, tout naturellement une première cartographie sans restriction ni règles particulières, émerge. Par étapes d’idéation et d’inscription, de nombreux termes sont alors revenus à mon esprit et ma carte s’est densifiée très rapidement. Des idées logiques et primordiales à ma recherche ont resurgi. Le laisser aller créatif et surtout remémoratif est jubilatoire. Je peux voir mon envie grandissante avec l’inscription des mots de ma pensée à mes doigts, de mes doigts à mon clavier, du clavier à leur retranscription électrique puis numérique dans des blocs rectangulaires de couleur sur mon écran. Comme si l’outil captait l’effusion électrique de mes idées, l’effluve de mes intentions profondes. Ce processus était limpide d’un bout à l’autre de la chaine.
Durant ce temps je n’ai pas essayé de créer des liens, ceux-ci sont apparus par eu même lors de la (ré) apparition des mots. Mon envie créative vidéoludique notamment sur la notion d’espace et de découverte s’est alors logiquement inscrite. Ce laisser aller, sur le fond de mes idées a été bénéfique pour faire émerger mes intentions premières. Ce sont mes mots personnels, créatifs, artistiques, techniques, politiques. Ce sont mes envies, mes doutes, mes (futurs) outils, mes questionnements. Ces termes sont le reflet de mes réflexions antérieures pour un projet ou il reste tout à construire.

Face à cet énorme agglomérat de mot, je me demande alors : « que puis-je en faire ? ». Comment exprimer cela en résumé d’intentionnalité ? Toutes les idées sont là, il y en a même surement trop, des éléments sont à élaguer. Mais le projet est présent, enfoui dans l’ensemble des connexions possibles entre tous mes différents termes. Faisant suite à mon laisser aller précédent, j’ai laissé évoluer ma carte par elle-même en créant une catégorisation de mes idées, sans relier directement les mots entre eux par des fils logiques. Des bulles de couleur englobent des groupes de termes par rapprochement thématique, mais pas uniquement. Des proximités entre des idées éparses sont également apparues. Je vois l’émergence de premiers attracteurs ! Quelques contours flous de mon projet se sont alors dessinés.

Je remarque qu’en premier lieu mon désir créatif s’articule autour du principe de thèse œuvre, questionnant mon rapport personnel au monde de l’industrie vidéoludique, de l’art, du monde de la recherche et des processus associés. Je comprends que la création d’une recherche-création entre différents mondes institutionnels (du jeu vidéo indépendant, de l’art numérique et de la recherche) est une quête personnelle enfouie, moteur de ce projet. Il ne s’agit pas d’effectuer une création artistique déconnectée de son contexte, mais de s’interroger sur la façon dont je peux/dois la conduire (morale, éthique, épistémologie, méthodologie, bricolage, pensée complexe, transdisciplinarité, design spéculatif/critique). Ces éléments en apparence contextuels à la création possèdent une place précise dans mon désir. Il s’agit de prendre en compte et de se questionner sur les potentialités et besoins de ma démarche, de penser le jeu vidéo à travers les différents prismes (plus ou moins atypique pour le médium) de l’art et de la recherche. Le fait que j’ai travaillé dans le monde du jeu vidéo indépendant et mon questionnement politique n’y est pas pour rien.

L’attracteur du cabinet de pensée quant à lui me concerne directement (autopoïétique, mon ressenti, auto-ethnographie), mais il est aussi collectif (affects, sentiments, poétique). Mon envie première est également reliée à un aspect social (individuel/collectif, altérité, étranger) et politique (droit à la ville, utopie, dystopie, hétérotopie, néolibéralisme, disruption…). Les questions de ville et de level design sont logiquement, comme je m’y attendais, au premier plan de cette étape de mon intention. La conception de règle et l’aspect fictionnel du jeu vidéo apparaissent également. Des questionnements liés à l’utilisation d’un moteur de jeu 1 surgissent.
Comme une sorte de conclusion, l’attracteur apparu en dernier est l’agentivité 2 , de l’explorateur /l’exploratrice urbain·e (joueur·euse ou bien habitant·e). Situé entre le politique, le level design, les règles et le moteur, il réunit les termes de conscientisation, joueur, réenchantement, autogestion, réappropriation, auto-organisation et émancipation. L’idée ici est la réflexion autour de la conception ludique comme vecteur politique émancipateur.
Tous ces attracteurs sont connectés entre eux par proximité. Certains termes se situent à leurs intercessions et me semblent essentiels à cette étape de ma réflexion ; laboratoire utopique, psychogéographie, écologie urbaine vidéoludique 3, lucidité, rhétorique procédurale, exploration, expérience. À ce stade je souhaite donc créer une véritable écologie urbaine vidéoludique , proposant par la lucidité politique et la rhétorique procédurale émergeant de l’exploration et de la psychogéographie un jeu vidéo comme laboratoire d’utopie.
Cependant cette carte bien qu’intéressante sur le plan thématique ne met pas totalement en valeur les rapports et les liens principaux de mon intention et de ma réflexion. Maintenant, il s’agit de savoir comment effectuer la matérialisation de ces liens. Comment puis-je naviguer dans le champ des possibles, dans l’ensemble de combinaisons que je pourrais effectuer entre tous ces termes inscrits ?

La réflexion sur la mise en forme, la matérialisation des liens était complexe. Je ne savais pas de quelle façon je pouvais laisser exprimer les liens tendus entre mes concepts. Une de ma première réflexion a été la conception d’un jeu de carte représentant de manière conceptuelle mes différents termes. La création de règles poussant à la création et à l’émergence aurait pu m’aider à penser d’autres idées. Cependant, la mise en pratique complexe et chronophage de l’ensemble des illustrations et le fait que le cadre de règle ne réglait pas vraiment la problématique de création de lien entre mes idées en plus de remettre cette étape à des éléments mécaniques que je considère hors de mon projet, ne m’ont pas poussé à continuer.

Ma deuxième idée a été de mélanger l’idéation créative d’illustration sur des termes qui me semblaient importants et la création de liens créant du sens à mes yeux. Par la création d’illustrations j’ai mis en image, en allégorie les attracteurs évidents pour ma psyché. Ceux-ci sont présentés dans des cercles de pixel similaires et connectés entre elles, comme une sorte de réseau neuronal, celui de mes intentions. À l’instar d’une carte psychogéographique, les unités d’ambiances (les attracteurs) sont reliées par des connexions ponctuées de mots personnels, émotionnels, logique-politiques, en somme par mes affects.
Les différentes méthodes employées pour concevoir les images illustratives de mes nouveaux attracteurs parlent directement de mon projet et expriment le cadre et lien entre mes différentes intentions. Chaque image possède un traitement lié à la pixélisation ou à l’art des pixels. Certaines images utilisent des photos de notre monde tangible ou des mondes vidéoludiques.
Je décèle que ce lien entre monde tangible, œuvre de jeu vidéo et conception vidéoludique et surtout leur hybridation porte un certain sens expressif et pourrait être source d’une esthétique nouvelle. Une exploration de celle-ci s’impose. Plongeons dans leur mutation et leur conception.

L’attracteur de quête personnelle soulève un besoin créatif, de renouveau, d’action sur le tangible et des questionnements similaires au principe de thèse œuvre dans la version précédente de la carte. Symbolisé par un personnage non joueur 4, possédant un point d’interrogation au-dessus de la tête, il représente l’indication classique de la quête vidéoludique. Connecté à cette quête personnelle par les concepts de cabinet de pensées et d’autopoïétique/auto-ethnographie, l’attracteur des sentiments/affects est une création en pixel art symbolisant le nuage de pensée qui nous influence dans la vie quotidienne (dans le tangible ou non). Relié au quotidien, la pensée situationniste à émerger comme nouvel attracteur. Il effectue le rôle de passerelle entre les attracteurs de sentiments, de ville, d’hétérotopie et de level design. Il semble pouvoir devenir un outil d’émancipation et d’émergence de nouvelle façon de penser le jeu vidéo urbain. L’hétérotopie justement est devenue elle-même un attracteur, par les termes dans son orbite (émancipation (ré)appropriation, stratégie interstitielle, réenchantement, conscientisation, postanarchisme, agentivité) et me permet de penser une once d’utopie dans la dystopie. La dystopie est une analogie de notre société (et de nos villes occidentale) et se cristallise en opposition avec l’hétérotopie par des termes comme société du spectacle, néolibéralisme, postmodernisme. Elle est représentée par une ville faisant, dans l’imaginaire collectif, écho à la dystopie. L’attracteur de fiction ayant un peu évolué permet de penser surtout l’aspect dystopique de ma création. Le level design et le game design quant à eux se relient à l’aspect hétérotopique qui peut émerger par les mécaniques du jeu et la partition ludique créée par le joueur ou la joueuse.
Dans une vue dézoomée, cette carte représente une démarche de design vidéoludique avec les différents pôles primordiaux à sa conception (game design, level design, fiction) et ses thématiques principales. Elle est devenue un véritable outil spécifique à la création de jeu vidéo. Je remarque également que la conception de monde (Worldbulding) devient un des éléments de conception ressortant visuellement et théoriquement. Je retiens l’aspect ludique à la conception de cette carte. En jouant avec les éléments théoriques et mes pensées, j’ai pris conscience des interconnexions que mon inconscient avait effectuées. Je pense que j’ai compris une première trame de mon projet. Il y a surement de nouvelles couches à explorer.


  1. Un moteur de jeu désigne l’outil logiciel utilisé comme base technique (calcul de géométrie, simulation de la physique, gestion de la lumière) lors du développement d’un jeu.
  2. L’agentivité dans un contexte vidéoludique peut être définie comme la sensation qu’a un·e joueur·euse d’influer significativement sur le monde fictionnel. 
  3. Désigne ici l’ensemble des interactions ayant lieu entre les différents composants d’une ville vidéoludique.
  4. Les personnages non joueurs (NPC) dans les jeux vidéo nomment toutes les entités qui ne sont pas contrôlées par un joueur. 

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