Récit de pratique : exploration de la création vidéoludique

Ce texte à été réalisé durant le mois de septembre 2022 dans un séminaire de méthodologie de recherche-création. Le récit de pratique consiste en la mise en valeur du cheminement artistique fait de potentiel récurrences, ruptures, périodes, préoccupations, obsessions et de constituer un récit des événements marquants dans la vie créative d’une personne.

Le bureau vestibule

Il fait un peu sombre… C’est rassurant ! J’aime demeurer ici, dans cette entrée de maison convertie en bureau. J’y joue et y découvre d’autres mondes, d’autres règles. Quasiment après ma naissance, ce bureau fut mis en place par mes parents. Ces jeux, ce PC ont été achetés et installés par mon père. Ces éléments me touchent, me rassurent. Ils ont joué des rôles cruciaux et actionnent la suite des événements.

Ce fut la première appréhension du média artistique : jeu vidéo ! Un premier cadre qui marque le début d’une (pré) période de création. Et ce bureau, cette (semi) entrée, symbolise aujourd’hui mon entrée personnelle dans le monde vidéoludique. Cependant la porte est-elle vraiment ouverte dans ce bureau (ex-) vestibule… Par de nombreux facteurs, je décide d’en découvrir plus, de prendre un peu de hauteur, de prendre l’ascenseur.

L’ascenseur de verre

Je vois la ville à travers le vitrage ! Je ne savais pas que ça pouvait ressembler à cela, une ville ! Un lieu vaste, étendu, étrange, composé de nombreux recoins, des lieux qui se croisent et se décroisent. Elle est habitée de tout type de peuplade, de commerçant·e·s, d’artistes, de créateur·rice·s, de politicien·ne·s, d’entremetteur·euse·s, de passant·e·s, de travailleurs·euses, d’explorateur·rice·s…. Tout type de croyances, de sciences et d’arts s’y côtoient. C’est cela qui m’a happé, la possibilité de tout voir, tout combiner, tout apprendre, tout utiliser !

Cette ville, c’est celle de la création vidéoludique. Et je pouvais voir le jeu vidéo comme ce qu’il était : un hyper médium ! La découverte d’univers aussi déroutants qu’étranges comme celui de Fez avec son ambiance, son histoire si particulière ou bien La City de Mirror’s Edge m’ont marqué pour toujours. Je remarque que mon intérêt pour les jeux vidéo proposant des expériences axées sur la spatialité existait déjà. Je sais qu’aujourd’hui je veux explorer ce Nouveau Monde, y faire partie, le comprendre et aider à créer des lieux, des ouvrages artistiques, de nouveaux quartiers de cette ville fantastique !

Le quartier des technicien·ne·s

Arrêt de l’ascenseur ! Premier lieu à explorer ! Je crois que c’est le quartier technique. Je le connais un peu de vu, mais il va falloir que je m’y attaque pour l’apprendre plus profondément ! Pas le choix, passage obligé pour continuer dans le dédale urbain.

Créer ce n’est pas simple, et créer des jeux vidéo, c’est le comble de la complexité… j’en fais les frais en bataillant avec la création d’un bête casse-brique. Apprendre comment coder, se battre ou plus se débattre avec des fonctionnements logiques pour mettre en place ses idées. Ou parfois juste mettre en place l’idée des autres en recopiant des tutoriels pour apprendre… assez frustrant. La programmation de jeux vidéo était alors un casse-tête (à défaut d’un casse brique) pour l’adolescent que j’étais. Elle l’est encore surement aujourd’hui. Mes premiers tests de création se sont avérés assez infructueux dans leur finalité, mais porteurs de compréhension au regard du média, qu’il fallait maintenant amadouer, dompter. Je me devais de continuer à explorer cette ville et y construire ma pratique !

Un bâtiment habitable

Ça y est, je commence à me repérer dans le quartier des technicien·nes j’ai même monté quelques murs ! Le lieu qui en ressort n’est nullement transcendant, mais c’est un début !

J’ai terminé mes premiers jeux ! Ils n’ont rien de marquant au premier abord et répondent à un « rendu » institutionnel, celui du Cégep de Matane ! La vision est assez naïve et reproductrice de codes existant tant sur le plan du game design1, que sur le propos (deux points se rejoignent). Mais je suis heureux d’avoir terminé des créations dans le domaine qui m’intéressait tant ! Le début d’une série commence alors !

Une maison politique

J’entre dans un nouveau lieu ! Découverte d’une nouvelle maison, je ne savais pas qu’elle existait sous cette forme ! J’y vois d’étranges procédés de conception. Des sources d’enchantement ou bien de ré enchantement (je ne sais toujours pas encore) des possibilités de ma pratique !

Cette maison est l’université Paul Valéry à Montpellier ! Elle devient ma maison politique, théorique ! À l’aide de celle-ci j’ai pu créer des œuvres donnant du sens à ma pratique ! Des jeux parlant, discutant d’éléments sociaux et politiques, reliés au tangible. Le jeu Dadaesh en est un exemple assez marquant. Avec ce projet, j’ai vécu physiquement l’importance de la mise en place d’expérience lors de la conception vidéoludique. Cela se déroule juste avant le début de ma formation. Nous étions une équipe de quatre personnes lors d’une game jam2. Nous n’arrivions pas à trouver un angle sur lequel nous engager et assez soudainement nous avons conçu une idée à partir d’un jeu de mots : Dadaeshs. Dès ce moment, l’ensemble des concepts se sont décantés, l’expérience était là : faire vivre une réponse à la destruction d’œuvre d’art par l’absurde, à l’instar de la pensée dada. Le but, sauver des œuvres archéologiques (représentant les œuvres de Palmyre3) des Dadaeshs par des éléments loufoques et décalés tout en les convertissant en pinata.

Le quartier de l’industrie créative

En parallèle de l’appréhension de cette maison politique et à force de découvrir cette ville, j’ai voulu vivre dans ce beau quartier, qui me semblait stable : le quartier de l’industrie créative ! Quitte à surement en faire des pieds et des mains de la mauvaise manière et oublier mon essence personnelle ? J’ai bâti plusieurs édifices pour charmer les responsables ! Je crains de ne pas trouver ma maison qui pourrait me faire survivre dans ce Nouveau Monde.

Je voulais travailler dans le monde du jeu vidéo indépendant, c’était une voie toute destinée et pas forcément négociable. L’est-elle encore aujourd’hui ? Je misais sur le fait de montrer que j’étais capable de concevoir et terminer un jeu.

Le cabinet d’architecture exploratoire

En fait, je n’avais jamais remarqué, mais j’aime ça explorer et aider à bâtir ! Je décide de construire un cabinet d’architecture exploratoire. Ou je pourrais en même temps qu’étudier et construire dans la ville, créer des cartes pour aider les autres explorateurs.

Depuis le début de mon rapport à la pratique j’avais une appréhension particulière liée au level design,4 mais elle n’était pas encore totalement explicitée. Avec mon sujet de Master 1 : Level design et Oujevipo, des sources rhétoriques ? Je commençais à appréhender la recherche mêlant espace et jeu vidéo. World en abyme, un projet de game jam, fait également partie de ces premières réflexions. Avec un travail sur la progression graduelle des niveaux, l’explicitation des différentes possibilités de jeu au fur et à mesure de l’avancement (par l’aménagement de l’espace) et la mécanique principale de mise en abyme des niveaux.

L’urbanité utopique

L’utopie politique, la vraie exploration, cela me manque dans cette ville ! Je l’avais perdu au fil des années…

J’ai besoin de reconnecter avec mon pourquoi, ma volonté première de pratiquer la création de jeu vidéo, l’hypermédia et la notion d’espace à parcourir. Liés à mes réflexions sur la rhétorique procédurale et ma conception personnelle, mes prochains travaux commenceront à penser politiquement la ville. C’est le cas avec Dystutopie, une critique de l’utilitarisme de nos villes, ou la joueuse et le joueur sont encouragé·e·s à se réapproprier l’espace. Avec mon mémoire de master 2 « Les mondes ouverts citadins vidéoludiques proposent-ils un réel sentiment d’exploration et de liberté ? » et le projet relié Urban Hétérotopias, j’interroge les notions de liberté face à l’urbanisme capitaliste induit dans les mondes ouverts. J’essaye également de concevoir un jeu permettant de repenser le level design et les mondes ouverts pour les rendre utopiques ! Ces créations deviennent une bouffée d’air frais. J’ai l’impression d’avoir trouvé ma voie créative !

L’atelier d’artisanat (industriel)

J’y suis, dans l’atelier d’artisanat que je rêvais tant d’atteindre ! J’aide à la fabrication d’artéfacts vidéoludiques, je m’investis, m’implique, je suis présent pour et avec le monde. Mais je n’exerce plus d’influence sur ma création désormais, tout me dépasse ! Et enfin de compte, l’atelier d’artisan est devenu artisanat industriel !

J’ai aidé à créer des jeux indépendants dans un studio pendant 3 ans. La pratique était complexe, à cheval entre création industrielle et studio indépendant. Mes volontés et mes affects ne pouvaient plus s’exprimer. Aujourd’hui, je veux bâtir des jeux plus marqués, utopiques, politiques, proposant une expérience concrète, explicite. Cela signe une fin de série de production inscrite dans le monde indépendant traditionnel. Je souhaite parfaire mon individualité en tant que créateur et en tant que chercheur, mettre en place une recherche évolutive personnelle en amont pour une réflexion collective. Je crois que ma pratique est liée à la dérive, similaire à celle effectuée par les situationnistes5. Alors la dérive est alors loin d’être terminée !


  1. Le game design est le processus de création et de mise au point des règles et des autres éléments constitutifs d’un jeu (« Game design », 2022) 
  2. Compétition, ou les participant·e·s possèdent un temps limité pour créer un jeu vidéo en lien avec un thème. 
  3. « À partir de 2014, l’État islamique procède à la destruction organisée et au vol d’objets appartenant au patrimoine culturel des territoires qu’il contrôle en Irak, en Syrie et en Libye. »
    Destruction du patrimoine culturel par l’État islamique », 2022). Cela a été le cas notamment dans la ville de Palmyre. 
  4. Le level design est le processus de création de l’espace de jeu (niveaux, cartes). 
  5. Mouvement d’avant-garde artistique portant sur « l’étude des lois exactes, et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur les émotions et le comportement des individus » (Debord, 1955) 

BIBLIOGRAPHIE

Debord, G. (1955). Introduction à une critique de la géographie urbaine, Les lèvres nues, no 6
Destruction du patrimoine culturel. (2022, 3 février). Dans wikipédia. Récupéré le 23 septembre 2022
Game design. (2022, 4 mars).Dans Wikipédia. Récupéré le 23 septembre 2022
Veillé, H. (2019). Les mondes ouverts citadins vidéoludiques proposent-ils un réel sentiment d’exploration et de liberté ? [Mémoire de master 2, document non publié], Université Paul Valéry Montpellier 3
Veillé, H. (2018). Level design et Oujevipo, des sources rhétoriques ? [Mémoire de master 1, document non publié], Université Paul Valéry Montpellier 3

LUDOGRAPHIE

DICE. (2007). Mirror’s edge, Electronic Arts
Fish, P, Polytron Corporation, Blitworks. (2012). Fez, Polytron Corporation, Trapdoor, Xbox Game Studios
Freyermuth, H et Veillé, H et Dell’ova, M et Cherrier, T. (2016). Dadaesh : Jouable en ligne
Veillé, H. (2017). World en abyme, Jouable en ligne
Veillé, H. (2017). Dystutopie, Jeu non publié

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